«Presque»: c’est votre frère?

Certains sujets sont délicats, pas tant pour leur potentiel polémique que pour la somme des clichés et des comparaisons qu’ils génèrent. Bien des scénaristes et des cinéastes sont prêts à mille contorsions pour y échapper, tandis que d’autres assument simplement le fait, comme l’a affirmé Gilles Vigneault, que « tout a déjà été dit, mais pas par moi ».
Bernard Campan et Alexandre Jollien l’ont compris, et l’assument parfaitement dans Presque, un film à quatre mains fabriqué entre amis de longue date, l’un grand comique (Les trois frères) toujours étonnant dans un registre plus dramatique (Se souvenir des belles choses, L’homme de sa vie), et l’autre, ni acteur, ni réalisateur, mais écrivain et philosophe, en plus de souffrir d’une infirmité motrice cérébrale. À la différence du personnage qu’il incarne dans cette comédie douce-amère aux accents biographiques — et elle est de taille —, Jollien jouit d’une grande reconnaissance médiatique, et ne souffre d’aucun isolement, déjà très occupé en tant que père de trois enfants.
Le quotidien de son personnage, Igor, ressemble davantage à celui de ces gens que l’on croise sans vraiment regarder, leurs différences physiques éveillant en nous des inquiétudes bien enfouies. Seul son travail de livreur à vélo lui permet d’entrer (un peu) en contact avec les autres, jusqu’au moment où il se fait renverser par Louis (touchant Bernard Campan), un directeur de pompes funèbres à la mine plus sombre que certains de ses « clients ». Cette rencontre inopinée sur la route va se transformer en alliance forcée, Igor s’imposant plus tard dans le corbillard de Louis pour un périple de Lausanne à Marseille, avec à bord un cercueil et une urne pour des funérailles qui s’annoncent tendues, et un bagage de malaises et de malentendus entre les deux passagers. Au fil du périple, comme dans tout bon road-movie, quelques figures féminines viendront d’abord pimenter, et ensuite souder, une relation improbable, mais oh combien nécessaire à l’équilibre de ce duo désaccordé.
Singularité
Un peu d’Intouchables ici — le clivage des classes sociales finit par s’atténuer au fil des aventures —, un soupçon de Rain Man là — beaucoup croient qu’ils sont frères, et leur dynamique conflictuelle prête justement à confusion —, Presque finit toutefois par trouver sa singularité, grâce à Alexandre Jollien, qui injecte beaucoup de lui-même dans le processus. Il le fait d’abord en exposant sans fard son handicap, dont il se moque souvent, puisant aussi dans ses expériences personnelles, celles d’un passé trouble en institution. Quant à sa manie de citer les philosophes, un peu redondante et parfois plaquée, elle colle parfaitement à l’aura de l’apprenti comédien désireux de sensibiliser sans misérabilisme.
Le monde des salons funéraires
L’intérêt de Presque tient aussi à la manière dont les deux cinéastes dépeignent le monde en apparence austère des salons funéraires. Or, la tristesse émane surtout de la figure mélancolique de Louis, prisonnier d’un métier, mais surtout d’un destin tracé d’avance, avec ses parts d’ombre mises en lumière en toute fin de parcours. À quelques rares occasions, le vernis de ce commerce est égratigné, semblable à tous les autres — Louis ajuste ses convictions religieuses selon la tête des clients et décrit sa marchandise à la manière d’un vendeur de voitures —, mais sert ici de prétexte à réunir des gens qui autrement préféreraient s’ignorer, forçant des retrouvailles salutaires.
Cette randonnée amicale sur les routes de Suisse et de France jette par-dessus bord quelques idées reçues, et trop tenaces, sur les personnes handicapées, dont leur sexualité. La trajectoire demeure toutefois prévisible, agrémentée de quelques instants de folie grâce à la présence de Tiphaine Daviot en voyageuse éplorée, un temps sur la banquette arrière du corbillard. On en aurait pris autant que des citations de philosophes.