«Les passagers de la nuit»: «On fait les films avec ce qu’on est»

Tandis que les salles obscures nous abreuvent actuellement de moult superhéros vivant des aventures si extraordinaires qu’on a besoin de plus d’images de synthèses que de prises de vue réelles pour pouvoir les transposer à l’écran, Le Devoir donne la parole à un réalisateur qui, a contrario, nous fait la chronique de vies ordinaires.
Mikhaël Hers — car c’est de lui qu’il s’agit — fait partie de ces Monet, Van Gogh et autres impressionnistes qui n’ont pas besoin du plus extraordinaire des sujets pour nous donner la mesure de leur talent. Dans Les passagers de la nuit, le réalisateur et scénariste nous raconte l’histoire d’Élisabeth et de sa famille au fil des années 1980. Cette mère, qu’interprète Charlotte Gainsbourg, voit son mari la quitter. Elle qui n’a jamais travaillé pour consacrer sa vie aux siens se retrouve perdue, à la dérive avec ses deux enfants, Matthias et Judith. Elle se raccroche à la parole d’anonymes qui se confient sur les ondes d’une émission de radio nocturne. Véritable refuge pour Élisabeth, qui trouve même le moyen d’y décrocher un boulot.
C’est dans ce cadre intimiste qu’elle fait la connaissance de Talulah, âgée de 18 ans à peine et encore plus perdue qu’elle. Ce « petit oiseau », comme elle l’appelle, émeut Élisabeth au point qu’elle décide de l’accueillir. Une nouvelle venue dans l’équation familiale qui ne laissera pas de marbre Matthias, adolescent secret et poète. Ainsi, chacun cherche sa voie et tente de se (re)construire.
La perte, sous toutes ses formes, est une constante dans le cinéma de Mikhaël Hers. Le réalisateur d’Amanda, Ce sentiment de l’été et Memory Lane confie aborder ce thème pour y trouver une forme de libération : « Je traite des sujets pour trouver une forme de sérénité. » Un cinéma qui tiendrait presque de l’art-thérapie universelle. « Ce sont des sujets qui nous touchent tous à un moment ou à un autre », raconte-t-il, y voyant là un moyen de prendre du recul sur la vie.
Douceur, légèreté
N’allez pas croire pour autant que notre monsieur Hers est déprimé et déprimant. Car l’autre chose qui émerge une fois encore de son travail, c’est la douceur, la légèreté. Le cinéaste ne s’abandonne pas au pathos et garde un regard foncièrement bienveillant sur ses personnages. Pourtant, Mikhaël Hers se défend de faire quoi que ce soit volontairement : « On me parle beaucoup de la douceur dans mes films. Ce n’est pas une volonté de ma part. Il y a aussi de l’âpreté, mais plus souterraine. On fait les films avec ce qu’on est. Ce n’est pas conscient. Je ne cherche pas à véhiculer un message. »
L’homme affirme chercher simplement à faire un cinéma qui lui ressemble. « Il s’agit seulement de trouver l’émotion la plus juste en fonction de chaque film. Ça tient à mon ressenti personnel. » De fait, il admet se laisser guider par son instinct pour mener une scène vers le ton qui lui correspond.
Et pour ce faire, il a trouvé un écho parfait en la personne de Charlotte Gainsbourg. « Je ne la connaissais pas avant, mais j’avais vu des entrevues et des films d’elle et j’avais été subjugué par sa sensibilité à fleur de peau. »
L’actrice, au timbre de voix reconnaissable entre tous, a eu, selon les propres mots du metteur en scène, « une compréhension immédiate et intuitive » du personnage d’Élisabeth. Il aimerait d’ailleurs beaucoup voir se continuer cette collaboration.
La fille de Jane Birkin et Serge Gainsbourg ainsi que le réalisateur sont des enfants de la décennie 1980. Les passagers de la nuit relevait donc du voyage nostalgique pour eux, dont le paysage était ponctué d’objets et de références triés sur le volet. « On a eu, avec la cheffe décoratrice, une grande attention aux détails. Sans faire un film fétichiste, ça a été beaucoup de plaisir », glisse le cinéaste avec un sourire. Et l’attachement de Hers à cette époque transpire dans chaque plan. Jusque dans la texture de l’image. « Je suis un impressionniste », raconte celui qui voulait « donner la sensation des années 1980 ». « Je voulais faire un film sensoriel et intuitif. C’est pour ça que j’ai voulu avoir différents formats, différents grains à l’image, insérer des images d’archives. » Le résultat, ce sont des compositions rappelant un vieil album photo devant lequel on s’attendrit tant il fait remonter des souvenirs.