«Harriet»: la course pour la liberté

C’est la prestation de Cynthia Erivo, dans le rôle central, qui fait de Harriet un titre digne de mention.
Focus Features C’est la prestation de Cynthia Erivo, dans le rôle central, qui fait de Harriet un titre digne de mention.

L’histoire de l’humanité regorge de récits dignes du cinéma qui demeurent ignorés. Parfois ça s’explique, tel le cas de Harriet Tubman. Que le septième art n’en ait pas fait mention jusque-là tient sans doute au fait qu’il existe une division raciale aux États-Unis et à Hollywood. Il a fallu un Spike Lee avec son Malcolm X (1992) pour qu’un personnage historique, noir, soit l’objet d’une prestigieuse fiction biographique. Alors une femme…

Harriet de Kasi Lemmons innove en s’attardant à la vie de cette esclave devenue leader abolitionniste. Il faut préciser que Harriet Tubman, décédée en 1913, bénéficie actuellement d’une vague d’estime. En 2028, elle sera la première Afro-Américaine à se retrouver sur un billet de banque (le 20 $US).

Le film à la sauce Hollywood ne raconte pas l’histoire de son héroïne du début à la fin. Si la trame débute en 1849, à l’époque où, esclave, Harriet se prénomme encore Minty, elle ne s’y éternise pas. Le scénario relate surtout les années de lutte que mène la femme pour libérer des esclaves du Maryland. L’épilogue qui la montre à la tête de soldats pendant la guerre de Sécession semble, lui, superficiel.

La grandiloquence du ton teinte l’ensemble du film, notamment sous les effets de la direction artistique et de la musique, celle-ci signée tout de même par le jazzman Terence Blanchard. C’est la prestation de Cynthia Erivo, dans le rôle central, qui fait de Harriet un titre digne de mention.

L’actrice a été repérée par les producteurs à Broadway, lors de la reprise de la comédie musicale The Color Purple, qui lui a valu un prix Tony en 2016. Ses talents de chanteuse sont mis à contribution dans une scène forte dans laquelle la future Harriet annonce son départ aux femmes restées au champ. Les esclaves communiquaient par le chant, et le choix d’y faire appel à ce moment est justifié.

Cynthia Erivo incarne une Harriet tenace, infaillible. Quand elle fuit, c’est au pas de course. Malgré sa petite taille, elle se tient debout devant tous les hommes. Ses moments de faiblesse, des hallucinations, se retournent à son avantage. Harriet y lit le danger qui la guette.

La dose de fantaisie extirpe le récit des faits historiques. S’il est dit que le personnage était une croyante dévote, l’évocation de ses prières, ou de ses rêveries, sert davantage à rythmer ses courses qu’à défendre une thèse religieuse.

Harriet a croisé sur sa route une tonne de personnages, auxquels le film ne s’attarde pas. Ils ne sont pas sans intérêt pourtant. Peut-être fabulé, le jeune Walter est une sorte d’escroc des bois qui se met à son service. Réel et connu, l’abolitionniste William Still a, lui, mis en place le « chemin de fer clandestin » (Underground Railroad) par lequel bon nombre d’esclaves ont fui vers le nord jusqu’au Canada. Une aristocrate noire, interprétée par la chanteuse et militante Janelle Monáe, sert surtout à montrer à la fugitive le maniement du revolver.

À la fois son défaut et sa qualité : le film doit à ce point révéler la grandeur de Harriet Tubman que bien des détails de l’époque, du contexte ou même du personnage sont négligés.

Harriet

★★★

Drame biographique de Kasi Lemmons. Avec Cynthia Erivo, Leslie Odom Jr, Joe Alwyn, Omar J. Dorsey, Henry Hunter Hall, Janelle Monáe. États-Unis, 2018, 125 minutes.