«Crise R.H.»: La tragédie du travail

Les batailles sanglantes ne se déroulent pas toutes à coups de fusil, de couteaux ou de machettes. Il suffit parfois d’un courriel intimidant, d’une lettre de blâme ou d’une simple rumeur autour de la machine à café pour déclencher les hostilités et transformer les bureaux en champs de bataille.
C’est ce chaos en apparence contrôlé que cherche à égratigner Nicolas Silhol dans ce premier long métrage qui porte en France le titre très français de Corporate, rebaptisé ici Crise R.H. Et crise il y a au sein de cette multinationale dont le bureau parisien devient le théâtre du suicide d’un employé poussé à bout par la haute direction à démissionner plutôt que d’être congédié, ce qui bien sûr la dégage de ses responsabilités.
Émilie (excellente Céline Sallette) connaît bien ce travail de sape, et elle est la meilleure, selon les dires de son grand patron, Stéphane (Lambert Wilson, un peu en vacances), totalement séduit par les nouvelles pratiques de management à la sauce néolibérale. Pour sa subalterne des ressources humaines, dont la transpiration excessive témoigne d’un premier indice d’inconfort, ces mêmes convictions commencent à se fragiliser après le décès foudroyant de celui qu’elle croit avoir poussé dans ses derniers retranchements.
Sa chute spectaculaire vers la mort provoquera d’autres vertiges, car tous montrent du doigt Émilie, jusque-là très à l’aise avec sa réputation de« killer », une chose dont elle ne se vante pas auprès d’un conjoint en recherche d’emploi et leur jeune fils. L’arrivée d’une inspectrice des normes du travail déterminée (Violaine Fumeau, loin du cliché de la fonctionnaire beige) va provoquer une nouvelle vague d’inquiétudes parmi les cadres et les employés, forçant la reine déchue des R.H. à choisir son camp.
Même une connaissance limitée des lois qui régissent le monde de l’emploi en France ne nous empêche pas de saisir la portée des enjeux décortiqués par Nicolas Silhol, fils d’un professeur bien au fait des théories, et des dérives, en ressources humaines. S’il prend soin de préciser que ce récit est fictif (la vague de suicides d’employés à France Télécom a servi de bougie d’allumage au cinéaste), les drames, eux, sont d’une cruelle actualité. Et il utilise, à petites doses, les artifices du thriller, centrant son regard sur une héroïne qui passe subtilement de bourreau à victime.
Cette radiographie d’un monde aux surfaces lisses et à l’atmosphère toxique excelle lorsqu’il s’agit de décrire dans le menu détail la déchéance de cette carriériste. Celle-ci occupe littéralement tout l’espace, donnant ainsi moins d’étoffe et de profondeur psychologique aux personnages qui gravitent autour d’elle. Rarement le suspense est-il véritablement haletant, mais les constats établis par Nicolas Silhol suffisent largement à donner froid dans le dos. Froid comme ces bureaux où les larges fenêtres et les espaces ouverts donnent une fausse illusion de transparence, un effet de mise en scène plutôt réussi et, ma foi, très ironique.