Pris au piège

Pousser le spectateur dans des expériences éprouvantes, de celles qui provoquent à la fois vertige et claustrophobie, il n’y a pas que le cinéaste Alfonso Cuarón (Gravity) qui en est capable. Sébastien Cliche, artiste bien de chez nous, aussi. Habile dans le maniement de tout ce qui est électronique, et en particulier des caméras de surveillance, Cliche arrive à créer des tensions très concrètes, doublées de réflexions sur le fait d’être humain, aujourd’hui, au XXIe siècle.
Son installation Self Control Room, chez Articule, a des apparences bien inoffensives, entre un studio d’architecte et un cagibi de concierge. Celui qui entre dans le centre de l’avenue Fairmount devra cependant accepter de plonger dans une mise en abîme dont il lui sera difficile, voire impossible, de s’extirper. Entrer dans la boîte, c’est y laisser un peu du sien.
Dans Self Control Room, comme dans La doublure, la précédente expo de Cliche, présentée en 2012 à la Galerie de l’UQAM, des caméras filment les lieux à l’insu des visiteurs. Ceux-ci finissent par s’en rendre compte : l’idée n’est pas de violer un quelconque droit, mais de remettre en question la valeur et l’utilité de toutes ces archives bien fraîches. L’installation parle, oui, de contrôle et de manipulation, mais ne se tient pas à ce commentaire, inhérent dès lors qu’on pointe la multiplication des caméras dans l’espace public.
Self Control Room ouvre d’autres portes, construisant un récit, celui d’un monde trouble, qui brouille nos repères. L’oeuvre mélange les temporalités et les espaces, à la manière de cette affirmation-hypothèse inscrite sur la vitrine d’Articule et lisible en plusieurs temps, grâce à une mise en scène bien étudiée : « Il est possible que vous soyez ici, mais que vos pensées, elles, soient ailleurs. Vous n’avez pas à choisir. » Tiré de l’installation La doublure, l’énoncé se veut un avertissement de ce qui suivra.
Le double jeu est multiple chez Cliche, notamment dans l’espace arrière de l’expo. S’y côtoient la salle de fabrication, outils et maquette bien visibles, et le poste d’observation, un octogone dans lequel il vaut mieux s’introduire. Les temps s’y superposent, par une légère distorsion du réel ; on se voit circuler dans la galerie, comme on voit l’artiste travailler au montage de l’expo.
L’impression de n’être ni là ni ailleurs est tenace. On est pris dans le vide, mais enfermé dans une boîte. Comme l’astronaute de Gravity. Comme le spectateur cloué au tic-tac de Clock, l’installation-collage de Christian Marclay. Comme dans la vie : nous sommes libres, mais tenus à un horaire, au devoir de faire quelque chose. Self Control Room, que l’artiste présente dans ses notes comme une exploration du concept de « projet », nous lâche ce constat comme une brique sur la tête. Nous ne sommes pas toujours maîtres de nos maisons.
Sébastien Cliche étant quand même un peu maître de son destin, il a profité de l’expo chez Articule pour lancer une monographie sur son précédent projet. Publié avec le soutien du centre Clark (et non pas, étonnamment, de la Galerie de l’UQAM où il avait été exposé), le livre La Doublure nous fait revivre cette autre troublante expérience où l’on était confronté à un mirage bien réel. L’analyse, signée Charles Guilbert, des notes tirées du journal des « doublures », des graphiques et des photos, ainsi que le texte énigmatique qu’on pouvait lire sur place, permettent de décortiquer une installation qui aura autant choqué qu’amusé.
Collaborateur