La relève de l’humour, victime de la pandémie

Dans la prochaine année, la relève humoristique du Québec risque de se heurter à un bouchon artistique. Les dates des spectacles prévus au printemps et à l’été devront être à nouveau planifiées tandis que plusieurs premiers spectacles solos devaient être lancés au cours de l’année.
Getty Images Dans la prochaine année, la relève humoristique du Québec risque de se heurter à un bouchon artistique. Les dates des spectacles prévus au printemps et à l’été devront être à nouveau planifiées tandis que plusieurs premiers spectacles solos devaient être lancés au cours de l’année.

Pendant que le Québec était en pause, le milieu de l’humour a connu une grande effervescence sur le Web avec la multiplication de capsules vidéo. Ce bouillonnement virtuel a toutefois laissé la relève humoristique sur les lignes de côté.

« Est-ce que j’ai commencé ma carrière à la mauvaise époque ? », s’interroge Louis Girard-Bock, finissant du programme d’écriture humoristique de l’École nationale de l’humour (ENH).

Avec le report généralisé des spectacles d’humour prévus au printemps et à l’été, jumelé à l’annulation des festivals d’humour qui s’avèrent souvent de précieux tremplins pour la relève, ce jeune diplômé craint que le parcours pour se hisser jusque sur les scènes du Québec soit encore plus ardu que d’habitude.

Dans la prochaine année, la relève humoristique du Québec risque de se heurter à un bouchon artistique, confirme Christelle Paré, professeure à l’ENH et docteure en études de l’industrie de l’humour. Les dates des spectacles prévus au printemps et à l’été devront être à nouveau planifiées. Plusieurs premiers spectacles solos devaient être lancés au cours de l’année, dont celui de la vedette montante Arnaud Soly. Son entrée en scène a été repoussée à la fin de 2020.

Déjà, avant la pandémie, les horaires des soirées d’humour étaient parfois conçus plusieurs semaines à l’avance. « Il n’y aura pas beaucoup de place pour de nouveaux humoristes dans la prochaine année », prédit Christelle Paré.

Certains craignent aussi que les producteurs soient plus frileux à miser sur de nouveaux talents. La place limitée sur les scènes justifiera peut-être des choix monétairement avantageux, pensent plusieurs étudiants de l’ENH. « Si tu as le choix entre un Mike Ward ou un humoriste de la relève, si ton but, c’est de te remettre sur pied financièrement, tu vas y aller avec le plus gros vendeur, c’est normal », croit Julien Tremblay, finissant de l’ENH.

« On a vraiment toute une génération qui risque d’être sacrifiée sur l’autel de la prise de risque artistique. Ça m’attriste beaucoup parce qu’on a des gens extraordinaires. Ce serait vraiment triste de les perdre », se désole Christelle Paré.

Un coup de pouce pour l’humour

Le Conseil des arts et des lettres du Québec offre depuis peu un programme auquel les humoristes émergents ou plus établis peuvent s’inscrire afin d’obtenir un soutien financier. « Si le gouvernement est prêt à aider la relance culturelle […], ça va permettre aux artistes de l’humour de recevoir une forme de rémunération pour leur projet. Ça va être complètement différent », explique Christelle Paré.

Or, faire une demande dans ce type de programme de subvention nécessite « un bac en demande de programme de subvention », révèle en riant Phil Roy. D’après lui, le soutien des humoristes de la relève devrait davantage se faire sur le plan de l’orientation. Il donne l’exemple du cours Gestion de carrière offert à l’ENH, où il a pu rencontrer des humoristes et bénéficier de leurs conseils, dont il se sert encore aujourd’hui.

Cette année, encore plus que les précédentes, les nouveaux venus dans le milieu de l’humour devront donc user de créativité pour sortir du lot. « Se démarquer, faire preuve d’originalité, avoir quelque chose à dire », c’est ce qui leur permettra de se tailler une place, estime Christelle Paré.

On a vraiment toute une génération qui risque d’être sacrifiée sur l’autel de la prise de risque artistique

 

Le confinement a donné lieu à quelques initiatives, dont le Wifi Comédie Club, animé par Phil Roy, spectacle d’humour gratuit présenté sur la plateforme Zoom plusieurs soirs par semaine. La sélection des humoristes se fait par Phil Roy à partir d’un bassin d’artistes dont le travail est déjà connu et apprécié de l’animateur. Ce dernier a ainsi travaillé autant avec « un Stéphane Fallu, un Laurent Paquin, qu’un Samuel Cyr ».

Offrir une variété de contenu permet de belles découvertes, pense Phil Roy, qui se souvient avoir assuré à une MichelleDesrochers inquiète, « même s’ils ne te connaissent pas, ils vont te trouver drôle. Il n’y a personne qui me trouve drôle parce qu’ils me connaissent ».

Tommy Néron-Tremblay, étudiant à l’ENH et habitué des soirées d’humour, y a participé à deux reprises. « C’est un beau “en attendant” », confie-t-il, conscient des limites de la plateforme numérique. « Si tu m’offres d’aller jouer dans une cour devant 25 personnes ou de jouer devant 200 personnes au Wifi Comédie Club, je vais aller jouer dans une cour ! », lance-t-il.

Encore faut-il que le public soit au rendez-vous. « Est-ce que les gens vont avoir peur de retourner dans les bars pis de se coller à du monde ? », se demande Louis Girard-Bock.

Vers un renouvellement ?

Bien que plusieurs étudiants de l’ENH ne semblent pas inquiets de retrouver en grand nombre des spectateurs en chair et en os, la pandémie aura un impact sur le type de spectacle quele public choisira, pense FlorenceNadeau, finissante du programme d’écriture humoristique.

La crise de la COVID-19 a forcé le foisonnement, dans le milieu de l’humour, de nouvelles formules adaptées aux contraintes actuelles. Le Projet parallèle, lancé par le groupe Phaneuf, offre des spectacles d’humour devant un public restreint avec plusieurs grands noms de l’humour québécois, dont Louis-José Houde et Sam Breton.

« Est-ce que les gens vont sortir pendant une pandémie pour un micro ouvert au St-Houblon ou ils vont payer 10 dollars de plus pour aller voir un spectacle du Projet parallèle ? », demande Florence Nadeau.

Il n’en demeure pas moins que la crise du coronavirus fournira certainement du matériel aux humoristes pour de nombreux mois. Probablement autant que « le déluge du Saguenay et le verglas », pense Phil Roy.

À savoir si la COVID-19 donnera lieu à une saturation de blagues de type « prendre son bain avec ses oranges et son lait », une pratique observée en début de pandémie par une partie de la population en rentrant du supermarché, Phil Roy rappelle que « l’humour change en même temps que la société ».

Il reste qu’en temps de pandémie, les humoristes ont pour la plupart fait preuve d’une très grande générosité en proposant un panorama de contenu gratuit sur le Web, constate Christelle Paré. Chose certaine, l’humour aura fourni un exutoire en période de pandémie, qui confirme son apport social au-delà du simple divertissement.

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